Défenseur des droits : une fin de mandat qui tourne le dos à la République
Ce vendredi 3 juillet, le Défenseur des droits, Jacques Toubon, dont le mandat se termine le 16 juillet prochain, était interviewé sur LCI. Il est revenu sur sa mission, après six ans à la tête de cette institution. C’est la lutte contre les discriminations qui aura le plus marqué un tournant, selon lui : « Les réclamations ont explosé, augmentant de 40 % ». Il faudrait y voir « le fait que de plus en plus de Français voient leurs droits piétinés » Cette jeune institution (2011) présente pourtant, en dépit d’une augmentation qu’on peut expliquer par sa plus grande visibilité aux yeux des usagers, des chiffres relativement faibles. Dans son dernier rapport annuel (2019), les réclamations pour discrimination s’élèvent à 5 448 (moins qu’en 2018, où elles étaient 5 631) et 14,5% d’entre elles seulement étaient relatives à l’origine (21,3 % en 2016), 2,6 % étant dues aux convictions religieuses (3,7 % en 2016). Toute discrimination est une discrimination de trop, et aucune ne doit rester sans réponse. Mais, sur une population de 67 millions d’habitants, crier au loup dans ces conditions relève de la gageure.
C’est pourtant ce que fait le Défenseur des droits, dans son rapport « Discriminations et origines : l’urgence d’agir » : « Les personnes d’origine étrangère ou perçues comme telles sont désavantagées dans l’accès à l’emploi ou au logement et plus exposées au chômage, à la précarité, au mal logement, aux contrôles policiers, à un état de santé dégradé et aux inégalités scolaires », ce qui prouverait une « dimension systémique » des discriminations en France, mettant en cause les « droits fondamentaux » de « millions » de personnes et la « cohésion sociale ». Comment comprendre cette présentation des faits ?
Une phrase en résume à elle seule l’idée générale : « Quand vous vous sentez discriminé, ça veut dire que vous ne vous reconnaissez plus dans la République.” (LCI) Une sacralisation du ressenti comme argument massue pour ceux qui entendent l’attaquer, justifiant de rabattre toute inégalité sociale sur l’argument des discriminations. Il en découle une victimisation généralisée, justifiant de ne plus penser qu’en termes de minorités opprimées et de séparation.
Jacques Toubon dit regretter que la question de la police soit soumise à “une sorte d’affrontement idéologique“, entre pro et anti-forces de l’ordre, invitant à remettre en cause la « doctrine du maintien de l’ordre“. Mais est-ce bien sérieux, alors qu’il prend à son compte, dans son rapport sur les discriminations, une idéologie qui, marquée par les concepts « d’intersectionnalité » et de discriminations « systémiques » chers aux indigénistes et autres décoloniaux, fait de la police républicaine l’ennemi juré ? Il recycle ainsi une analyse fondée systématiquement sur le différentiel entre les « blancs » et les autres, alimentant le fantasme d’un « pouvoir blanc » en France protégé par cette police, la notion même de « contrôle au faciès », qu’il généralise, assimilant toute action de cette dernière à une motivation raciale.
Il est certain qu’un jeune noir ou arabe identifié comme « jeune de banlieue » a beaucoup plus de chances d’être contrôlé aujourd’hui que la population générale (noirs et arabes riches ou âgés y compris) Cela doit nous interroger, autant du point de vue d’une délinquance des quartiers qui pousse à l’amalgame, que des préjugés bien réels de certains policiers. Mais y voir la preuve d’un « racisme d’État » n’a pas de sens. Le Parisien nous apprend le 25 juin dernier qu’un dealer a été relâché sous le prétexte d’avoir subi un supposé « contrôle au faciès », parce qu’il était noir ! Voilà à quel renversement des rôles mène ce genre d’obsessions.
« Dans un contexte politico-médiatique dominé par les débats autour de la lutte contre le terrorisme et de la laïcité, les discriminations en raison des convictions religieuses ne cessent d’augmenter » affirme-t-il dans le même rapport. « 1% des personnes déclaraient des discriminations en raison de la religion en 2008 contre 5% en 2016 » (3,7% en réalité selon son rapport de 2016). Cette augmentation dite « considérable » (« 5% » de 5203 réclamations en 2016, valeur très faible) « a principalement concerné les personnes de confession musulmane, traduisant une stigmatisation de plus en plus marquée à leur encontre. ». Jacques Toubon a ainsi vu apparaître « la construction de nouvelles figures : « les Roms », « le jeune homme de banlieue, noir ou maghrébin », et « la femme voilée…» On reste sans voix face à cette lecture qui oppose laïcité, lutte contre le terrorisme, et discriminations, pour aboutir à faire de la femme voilée un symbole de persécution.
Selon ce même rapport, « Les discriminations liées à l’origine dans l’emploi doivent être replacées dans le contexte plus large des déséquilibres socio-économiques actuels et de l’histoire de l’immigration postcoloniale en France » qui aurait créé des« phénomènes ségrégatifs » de masse. Ainsi, rien n’aurait bougé depuis la décolonisation ? L’accueil au titre du droit d’asile dont la France est devenue le premier pays en Europe, ce serait ça ? Et le regroupement familial, les prestations CAF pour tous, aussi ?
Selon l’Observatoire des inégalités, à classe sociale égale les enfants d’immigrés réussissent aussi bien que les enfants des non-immigrés. C’est donc l’origine sociale qui reste le critère principal. On ne devrait jamais confondre, comme il le fait, la pratique peu scrupuleuse de patrons voyous exploitant honteusement les sans-papiers avec notre République, qui les condamne.
La seule question qui importe à ses yeux serait de “savoir si la République tient, à l’égard de tous et de toutes, la promesse qu’elle nous fait“, à savoir l’égalité, la liberté et l’accès au droit. ” (LCI) Mais cela serait-il réservé à certains et exclu pour d’autres ? Où sont dans son rapport, ces universitaires qui subissent des interdits jusqu’à celui d’enseigner, parce qu’ils refusent d’épouser ces thèses en victimisation, et ont en réaction créé le réseau « Vigilance universités » ? Ce racisme antiblancs relayé dans les zones de non-droit, comme le fait le clip d’un Nick Conrad « Pendez les blancs » ou encore, la Ligue de Défense Noire Africaine manifestant devant l’ambassade d’Afrique du sud à Paris, appelant les noirs de ce pays qui s’entre-tuent à tuer plutôt les blancs ? Néant. L’action de la LDNA avec le CRAN et le soutien inconditionnel de Rokhaya Diallo, l’égérie de ce nouvel « antiracisme », qui ont imposé physiquement la censure d’une pièce d’Eschyle, « les suppliantes », à la Sorbonne, parce que les comédiens s’étaient grimés en noir comme dans l’Antiquité, pratique assimilée ici de façon ridicule à un Blackface ? Et la jeune lycéenne Mila qui, pour avoir osé critiquer l’islam parce que discriminatoire envers les sexes, a été menacée sur les réseaux sociaux d’être égorgée au nom d’Allah, contrainte de changer de lycée, de se cacher ? Rien ! Pas plus sur les conséquences du communautarisme, la montée de l’islam politique et des groupes de pression qui imposent par « le regard du quartier » combien de discriminations bien réelles et massives au nom du respect d’interdits religieux…
« Les discriminations fondées sur l’origine en France représentent une atteinte profonde à la réalisation du pacte républicain. Trop longtemps négligés par les pouvoirs publics, ces enjeux fragilisent la société toute entière et menacent l’égale dignité de tous et de toutes », dit-il, dans son rapport sur les discriminations, pour proposer la création d’un Observatoire des discriminations. Ce qui fragilise notre société derrière cette vision à sens unique sur les discriminations, c’est l’oubli de cette dimension essentielle qui fonde notre pacte républicain, que l’égalité des « droits » n’a de sens que s’il y a égalité des « devoirs ». Cette absence, sous le signe d’une victimisation de l’immigré qui semble en justifier l’économie, impacte l’idée même du contrat social, engagement réciproque entre l’individu et l’État, qui, seul, permet de promouvoir l’égalité, dont on s’éloigne ici pour aller vers une politique de quotas.
L’air de rien, Jacques Toubon aura rendu un service inespéré à un ultralibéralisme mondialisé qui conteste la souveraineté des peuples, favorisant un modèle multiculturel anglo-saxon de cloisonnement identitaire, qui annule la capacité à agir des forces sociales autant que celle à décider des citoyens. Si le travail du Défenseur des droit a été un tournant, c’est surtout par le fait qu’il invite à un choix de société qui tourne diamétralement le dos à notre République. Cette dernière reste un combat. Nous devons continuer à lutter pour l’idéal de « Liberté-Egalité-Fraternité », porté au-dessus des différences, car il est loin d’être mis en pratique toujours et partout. Mais cela vaut mille fois mieux qu’un monde où chacun défend les droits de sa « race » ou de sa religion. Espérons que la prochaine défenseure des droits saura s’écarter de cette impasse.
Guylain Chevrier, Docteur en histoire, enseignant et formateur. Ancien membre de la Mission laïcité du Haut conseil à l’intégration et responsable laïcité pour République Souveraine.