Justice et démocratie pour le peuple algérien. Kamel Bencheikh répond : laïcité !
Dans les colonnes du journal algérien en ligne Le Matin, héritier du journal papier fermé par les autorités algérienne en 2004, l’écrivain Kamel Bencheikh a lancé un appel vibrant et remarquable, en forme de défi, pour la laïcité en Algérie – la meilleure des réponses au danger du retour de l’islamisme et aux demandes d’un peuple qui réclame un État réellement démocratique. Cet appel restera dans les mémoires.
L’écrivain revient sur l’horreur des années 1990 dans son pays, décennie noire de l’islamisme, qui a fait au moins 200 000 morts. Il remet en mémoire ses victimes, les torturés, poignardés, décapités, les femmes violées avant d’être égorgées… La tragédie du départ forcé de ceux dont l’intelligence et le refus de la barbarie faisaient surgir le nom sur des listes macabres des assassinats programmés. Il s’insurge contre la « loi scélérate » de « concorde civile » voulu par le président Bouteflika, qui a pardonné aux criminels, jusqu’à les insérer dans la société « comme si de rien n’était » – forfaiture politique et mépris du peuple. Il ne réclame ni ressentiment ni revanche, mais seulement la justice, celle des droits de l’homme, pour les familles et à travers elles, pour l’Algérie. Il prend à témoin l’appel à la vigilance du poète Bertolt Brecht, contre le retour du danger fasciste : « Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde. ». Il avertit ainsi que si la justice n’est pas rendue aux victimes, si un État démocratique digne de ce nom n’est pas mis en place, la marmite du diable d’où est sortie l’islamisme pourrait bien le faire ressurgir.
Il rend hommage au passage à la parole et à la plume de l’écrivain Boualem Sansal, catalyseur des militants de la cause anti-islamistes, et ainsi à la résistance face à la menace de l’oppression.
Il croise l’enjeu de cet appel à la justice avec le Hirak, ce puissant mouvement de contestation populaire pacifique, qui a abouti à la démission du président Abdelaziz Bouteflika. « Ses marches » ont pour lui démontré la maturité du peuple algérien se mobilisant pour une transition démocratique, affirmant sa souveraineté. Plusieurs organisations de droits de l’Homme ont dénoncé la poursuite par les autorités algériennes de la répression contre les opposants, les journalistes et les médias indépendants. Il réclame en sa faveur – « soyons fou ! » dit-il – « le prix Nobel de la paix ».
Cette demande de justice pour les victimes de l’islamisme, pour le peuple algérien qui manifeste démocratiquement, ne peut, pour Kamel Bencheikh, avoir de réponse qu’à travers un État nouveau, libéré de la corruption et de la fraude électorale, un État protecteur rejetant toute complaisance envers le religieux, et ainsi capable de faire barrage au risque de l’islamisme.
Il décline les termes de la liberté de conscience, droit de croire ou de ne pas croire, pour dire l’urgence que les valeurs universalistes, issues des Lumières, puissent constituer le socle de ce beau pays. Ainsi, l’égalité hommes/femmes, loin d’être une « hérésie occidentale », est alors un droit à la justice à rendre à toutes et à tous. Il demande que les deniers publics, ceux de « toute la population », servent à construire un hôpital ou une école, au service du bien commun, au lieu de milliers de mosquées, à un culte par nature privé, laissé au libre choix de chacun. Pour finir de nous convaincre, il cite cette pensée émancipatrice d’un certain Jean Jaurès : “La loi de séparation, c’est la marche délibérée de l’esprit vers la pleine lumière, la pleine science et l’entière raison.” Il fait ainsi de la laïcité, de la séparation du religieux et du politique, la condition en Algérie d’un véritable État moderne. La voilà, la voie éclairée de l’universel, qui n’est rien de moins que celle de la liberté !
Une pensée qui devrait faire réfléchir – voire alerter – ceux qui nous gouvernent, qui ne cessent de composer avec le religieux en alimentant en France un islam prosélyte et politique, pour acheter on ne sait quelle paix civile au risque de tous les dangers. Au moment où dans notre pays la laïcité est tant mise à mal, c’est l’Algérie amie qui reprend le flambeau du combat pour les Lumières, celles d’un esprit lumineux qui n’a pas de frontières.
Guylain Chevrier, responsable de la commission laïcité de République Souveraine