Le COVID 19 et l’affaiblissement des États : une opportunité pour Daech

12 mai 2020
La mission anti jihadiste des forces irakiennes et de la coalition internationale a été altérée par l’épidémie de coronavirus.[AHMAD AL-RUBAYE / AFP]

La chute de Baghouz, le 23 janvier 2019, a marqué la fin de la période durant laquelle l’Organisation État Islamique (OEI) disposait d’un territoire propre où il a pu construire son « califat », proclamé le 29 juin 2014 par Abu Bakr al-Baghdadi.

Depuis ce jour, l’organisation terroriste, affaiblie mais non vaincue, panse ses plaies, se réorganise, et retourne à la clandestinité qui avait fait sa marque de fabrique depuis la création de l’État islamique d’Irak en 2005.

 Daech fut ainsi quasiment absent des récents événements politiques et géopolitiques irakiens et syriens. Il n’a eu qu’un rôle très marginal dans l’opération « Source de paix » en octobre 2019 durant laquelle l’armée turque et ses supplétifs, parmi lesquels de nombreux djihadistes, ont attaqué les positions des Forces Démocratiques Syriennes (FDS) kurdes en Syrie.

L’assassinat d’Abu Bakr al-Baghdadi, le 26 octobre 2019, a accentué ce déclin. Si le calife de Daech ne tenait plus vraiment les rênes de l’organisation terroriste, sa mort, après une longue traque, marque l’échec temporaire du projet de territorialisation durable et le retour à la clandestinité.

La présence du groupe est donc évanescente. Il tente surtout de libérer les siens détenus en prison mais aussi dans les camps de réfugiés surpeuplés, profitant à plusieurs reprises de l’assaut turc sur les positions kurdes du nord-est syrien. Il continue de semer la terreur dans les secteurs abandonnés par les États, fort de son expérience dans l’art de tirer parti des périphéries et zones de non-droit.

Le fait que le groupe survive et nomme en octobre 2019 un nouveau calife, al-Salbi, sans contestation interne, montre cependant sa capacité de résilience. Un événement totalement imprévu, le COVID-19, pourrait nettement accélérer cette dernière.

Le coronavirus change la donne

L’OEI, de même que le groupe islamiste Hayat Tahrir al-Sham (HTS) qui domine la poche d’Idlib, préconisent à ses militants, outre des mesures d’hygiène strictes, d’éviter l’Europe autant que possible. Il y a une réelle volonté de conserver au maximum les effectifs amoindris des djihadistes. Lors de sa période de territorialisation l’OEI, à la tête de son État djihadiste, avait fait face à une crise sanitaire majeure dans les hôpitaux sous son contrôle et avait déjà perdu des combattants.

Au niveau de la propagande, l’OEI a d’abord développé le thème de la « punition d’Allah » envers la Chine athée qui payait ainsi la persécution des Ouighours. Puis, à mesure que l’épidémie se transformait en pandémie mondiale et touchait l’Occident, l’OEI l’a interprétée comme une « vengeance » plus globale. Le virus fut qualifié d’« arme de Dieu pour détruire les infidèles qui tuent les musulmans ». L’Occident infidèle subirait donc un châtiment divin, le « pire cauchemar des nations croisées ». En réalité, depuis la chute de l’État djihadiste, sa propagande est beaucoup moins forte faute d’administration centralisée. Aujourd’hui, elle se concentre plutôt dans les territoires où le groupe a une présence physique. Ici, la propagande n’a pas pour fonction de recruter mais de battre le rappel et d’augmenter le moral des membres de l’État islamique. Disséminés à travers le monde, les djihadistes de Daech ont besoin de maintenir le lien entre eux. Le coronavirus est une excellente opportunité pour ces derniers de renforcer leurs réseaux.

L’OEI entend également maintenir la pression en appelant les militants déjà sur place à des attentats sur le sol européen. Daech poursuit deux objectifs : exploiter au maximum la faiblesse momentanée des États engagés contre le COVID-19 et, surtout, rappeler aux populations des pays européens que le groupe existe toujours et que la menace ne s’estompe pas. Ainsi, le 15 avril 2020, 5 ressortissants tadjiks ayant constitué une cellule de Daech ont été arrêtés alors qu’ils préparaient des attentats en Allemagne. Le cas du chauffard de Colombes, qui a renversé le 27 avril 2020 trois policiers après avoir fait allégeance à Daech, montre l’actualité de la menace.

Montée en puissance

L’OEI profite de la faiblesse des États poussés à bout par la crise sanitaire, en particulier en Irak. Le COVID-19 teste ici les faibles capacités d’un État plongé dans une guerre ininterrompue depuis 20 ans, jouet des puissances voisines, et qui n’a que peu d’autorité sur le nord arabe sunnite reconquis sur Daech. Appelant ses militants à être « sans pitié », les terroristes multiplient les attaques dans ces zones où ils sont très présents. Les régions de Kirkouk et de Diyala sont ainsi  particulièrement touchées.

Assassinats, tirs de mortiers, attaques surprises sur des convois, la guérilla de l’EI monte en puissance. Le groupe est également actif sur d’autres fronts du djihad, et en particulier en Égypte. L’agence de propagande du groupe Amaq relaie les dernières attaques du groupe terroriste contre l’armée égyptienne dans le Sinaï, autre exemple s’il en est de périphérie largement délaissée par le Caire.

L’OEI peut revenir à sa stratégie initiale que décrit bien le livre L’administration de la sauvagerie. Ce manuel, véritable livre de chevet du parfait petit djihadiste, prône l’affaiblissement des États par une violence aveugle dans les zones périphériques qu’il ne contrôle pas ou peu. L’État visé, dépassé au niveau sécuritaire, s’effondre. C’est à ce moment, vu comme « critique », qu’un État djihadiste peut se mettre en place. Pour les djihadistes, tout ce qui affaiblit un État et le sature est bon à prendre, car il permet de poser les jalons du retour de l’État djihadiste.

Daech voit ainsi le coronavirus comme un allié, une précieuse opportunité de retour. Alors qu’une nouvelle territorialisation apparaissait comme une perspective très lointaine, elle se rapproche aujourd’hui sous l’effet du virus.

Au retour dans la région du djihadisme, et de l’État islamique en particulier, il n’y a qu’un remède : des États solides et souverains, capables de porter aussi bien le fer contre ces groupes que le développement dans les zones de non-droit dont ces derniers se servent. Sans quoi celles-ci serviront de bases territoriales à un retour de Daech, au détriment des populations sur place, mais également de l’Europe qui sera la première visée par une nouvelle projection terroriste d’ampleur.

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