Shadow banking : le grand secret de l’oligarchie
Une banque gagne de l’argent en prêtant avec intérêts. Elle est limitée dans le volume prêté et donc dans ses gains, par des règles dites prudentielles (Bâle I) qui l’obligent à avoir en réserve 8% du volume d’argent qu’elle prête, pour éviter la faillite en cas de défaut des emprunteurs. Si elle veut prêter plus, elle doit avoir plus en réserve. Après 2008, ce taux est passé à 10,5% (Bâle III). Pour gagner plus, les banques ont contourné ces règles en domiciliant des collaborateurs dans des paradis fiscaux : c’est le shadow banking.
Concrètement une entreprise emprunte à une filiale étrangère d’une banque bien française et la rembourse avec intérêts. La somme remboursée est défrayée de son bilan, son résultat baisse et avec, les taxes et impôts perçus par l’État. Cet argent remboursé se crédite dans la filiale et n’est plus au résultat de la banque, abaissant également les impôts qu’elle doit.
Cet argent est prêté à deux types d’acteurs : aux entreprises, mais surtout à la branche « marchés » des banques afin de spéculer. Les volumes sont énormes. Ils sont volontairement énormes car pour influer sur un cours de bourse, il faut miser gros pour déclencher le suivisme des algorithmes du trading haute fréquence. En misant plusieurs centaines de millions, vous déclenchez une détection et un emballement des algorithmes des salles de marchés. S’en suit un effet moutonnier, l’action prend 6 à 7% en quelques minutes et vous revendez rapidement, empochant la plus-value nette d’impôts.
Ces structures de shadow banking sont également employées à faire travailler et à blanchir l’argent optimisé et évadé. On y fait transiter tout le hors bilan – tout ce que les grosses entreprises défrayent comme vous le faites de vos frais kilométriques –, ainsi que tout l’argent des « prix de transfert » de nos multinationales (vente à perte depuis la France pour abaisser les résultats comptables, et revente depuis ces paradis avec plus-value).
Le volume mondial de cet argent gris est difficile à estimer et dépend du périmètre retenu (définition stricte, où seules les activités bancaires sont prises en compte, ou définition large, où l’on inclut tous les intermédiaires financiers), mais se situe, selon le Conseil de stabilité financière, entre 45 000 et quelque 100 000 milliards de dollars par an – voire 160 000 milliards si l’on prend en compte les activités des assurances et fonds de pension, soit près de la moitié des actifs en circulation dans le monde. Ces sommes colossales – à comparer au montant du PIB mondial, à 70 000 milliards de dollars par an – échappent à tout contrôle, tout comme autrefois, avant la généralisation des cartes bleues, un artisan ou un commerçant pouvait escamoter 50 % de son chiffre d’affaires. La France représentant 3 % du volume de shadow banking mondial, on peut estimer les montants entre 1 200 et 2 650 milliards d’euros – pour un PIB d’environ 2 300 milliards d’euros.
Contrôler et fiscaliser ces sommes permettrait de rembourser la dette, d’avoir des services publics de haut niveau et d’abaisser fortement la fiscalité sur l’ensemble des citoyens et des entreprises locales, ce qui nous rendrait bien plus compétitifs. Tout l’art des plus nantis et des banquiers est de faire croire que cet argent n’existe pas pour ponctionner le système collectif français, exiger des efforts et un moindre niveau de vie de la part des citoyens – tout cela pour avoir plus d’argent à miser en bourse.
Julien Lovato,
Consultant en stratégie et organisation